Pacte* :
Le « pacte écologique » proposé par Nicolas Hulot a été signé par la plupart des prétendants à l’élection présidentielle. Jacques Durand. Peux-tu commenter ce phénomène qui apparaît comme une réconciliation des extrêmes, au delà du clivage droite-gauche.
Pierre Rabhi. : L’écologie n’est ni de droite, ni de gauche, ni même verte. On ne peut pas prendre l’écologie en otage et en faire un programme au service d’un parti. L’écologie est d’essence universelle. Elle concerne le vivant dans son ensemble. Nous sommes de plus en plus confrontés à des désordres écologiques, dus à l’activité humaine. Ces problèmes sont confirmés par la communauté scientifique qui nous annonce de graves désastres climatiques et des conditions difficiles de vie sur terre. Le film d’Al Gore « Une vérité qui dérange » et le relais médiatique de Nicolas Hulot autour du pacte écologique, créent une ambiance écologique globale. Nicolas Hulot est un homme de terrain qui interpelle les responsables politiques afin qu’ils prennent au sérieux cette question, toujours considérée comme subsidiaire. Il faut savoir que l’État français consacre 0,28 % de son budget à l’environnement ! on se demande si les signataires du pacte l’ont fait par démagogie ou par sincérité. Auront-ils la volonté de l’appliquer et le pouvoir de le faire ? Ces questions restent entières, compte tenu de la mondialisation qui donne les pleins pouvoirs à l’argent, détenu par une caste qui a le plein pouvoir sur l’humanité. Les décisions d’intégrer l’écologie comme facteur essentiel vont-elles être prises ? Ça, je ne le sais pas.
J.D. Oui, l’est un enjeu planétaire. Cette violence faite à la terre, au vivant ne va-t- elle pas susciter une forme de révolte populaire qui fera pencher la balance du bon côté ?
P.R. Les signatures apposées au bas du Pacte Écologique auront un impact important. Les populations sont maintenant informées, mobilisées et de plus en plus conscientes. Les politiques vont devoir en tenir compte. Mais ce qui me désole le plus, c’est que nous réagissions par peur, comme si nous étions aveugles à l’intelligence et à la raison. Ne pas empoisonner la nature est une question de bon sens, car à la fin, c’est nous que nous empoisonnons. L’écologie doit être comprise au niveau de notre conscience. Si nous n’intégrons pas le profond respect de l’autre et de la nature, nous risquons de vivre un enfer ou un totalitarisme écologique.
J.D .Rêvons un instant, supposons que tout se passe bien : le prochain gouvernement élu met en place un super ministère de l’environnement. Quelles seraient les mesures drastiques à prendre en priorité ?
P.R. : 1- Mener une réforme de l’éducation des enfants, les préparer à un monde différent, en mutation. Les éveiller aux valeurs de la Nature, faire découvrir la complémentarité, l’apprentissage manuel. 2- Relocaliser l’économie car les transports engendrent une grande pollution et surtout revaloriser la ruralité, car la paysannerie se meurt et même se suicide (le taux de suicide le + élevé est celui des agriculteurs). La détresse pousse aux extrêmes, en tuant symboliquement les petits exploitants nous aggravons la situation alimentaire- Je suis a peu près persuadé que nous allons vers une pénurie alimentaire sans précédent. 3- Reconstituer un tissu social rural avec de multiples fermes l’obligation de produire avec un label de haute qualité et une revente locale. Ceci réduirait les transports d’où une réduction des gaz à effet de serre et remodèlerait l’économie sur le régional. L’économie doit être une vraie économie, pas une avidité du marché. Il est nécessaire de changer de paradigme en mettant l’humain et la nature au coeur de nos préoccupations, sans cela rien n’est possible. Des lois contraignantes seront établies, accompagnées d’une pédagogie montrant l’intérêt général du but recherché. Je ne serais pas gêné que l’on me dise que j’ai droit à tant d’électricité par mois, à tant de carburant. Augmenter le prix à la pompe n’est pas la solution car encore une fois c’est le plus démuni qui en pâti. Le plus fortuné achète son permis de polluer !
J.D. :Le terme développement durable(D.D.) est en vogue, n’est il pas un miroir aux alouettes contrairement à la décroissance soutenable ?
P.R. :Le terme décroissance peut apparaître négatif, en fait c’est une redistribution de la richesse de façon plus équitable car actuellement c’est un système concentrationnaire des ressources au profit d’une poignée. Pour ma part, je qualifie la décroissance soutenable de "sobriété heureuse". La sobriété considérée comme un engagement politique pour réorienter l’histoire autrement. Le « toujours plus indéfini » est un pillage accéléré des biens communs. Nous avons inventé le développement durable avec des solutions qui seraient une antidote au développement actuel. Le développement durable est ambigu. Beaucoup de firmes ont maintenant un département « D.D »,. cela devient une possibilité de repentance pour des gens qui ravagent la planète et en même temps proposent des solutions compensatoires. C’est la logique du pompier - pyromane. Ce qui me parait important c’est que nous arrêtions de détruire les forêts, de dévaster la nature, d’épuiser les ressources de la mer, de polluer les sols. Les correctifs tels des voitures moins consommatrices ou des maisons moins gourmandes en énergie ne sont pas des réponses suffisantes. Les vrais solutions sont d’une autre ampleur. De plus le terme développement durable risque d’avoir un effet psychologique : "Ah c’est bien, on fait du D.D. On est sur la bonne voie". Non ! C’est un leurre !
J.D. : Doit-on accorder de l’importance à la recherche sur les nouvelles technologies ?
P.R. : Tout ce qui alternatif est bienvenu, il existe déjà des solutions (énergie solaire, éolienne, géothermique...), récupération de l’eau de pluie mais l’état n’est pas toujours à l’écoute. Son seul slogan est la croissance. Il existe plusieurs sites expérimentaux : Les Amanins, Le Hameau des Buis qui sont des laboratoires d’intérêt général qui tendent vers l’autonomie énergétique et agricole. Mobiliser la recherche avec des savants de hauts niveaux, oui, mais en réorientant leurs capacités vers des solutions alternatives. La société civile en propose déjà un large éventail qui ne sont pas toujours comprises par les administrations.
J.D. : Beaucoup de ces solutions sont adaptées au monde rural mais que se passe-t-il pour les habitants des villes ? Peut-on imaginer des super centrales solaires ?
P.R : Il faut être très prudent avec la dimension « macro ». L’énergie solaire peut aussi être récupérée par l’armée pour fabriquer des armes « solaires ». Il faut vraiment aller vers un changement de paradigme, vers le « local » en s’orientant le plus possible vers des solutions individuelles.
A lire de Pierre Rabhi : "Du Sahara aux Cévennes"- "Le Chant de la terre ». La table ronde-"L’Offrande au Crépuscule"L’Harmattan-"Le gardien du feu" Albin Michel - "Graines de possibles" entretien avec Nicolas Hulot Calmann Lévy. pour en savoir plus : Association Terre et Humanisme.